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LOGOS Saint-Chamond
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  • Apprendre à penser, à réfléchir, à être précis, à peser les termes de son discours, à échanger les concepts, à écouter l'autre, c'est être capable de dialoguer, c'est le seul moyen d'endiguer la violence effrayante qui monte autour de nous.
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25 août 2013

non, l'histoire n'est pas "écrite" par les vainqueurs

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Non l’histoire n’est pas définitivement

ni exclusivement écrite par les «vainqueurs»

Michel RENARD

 

Certes, l’histoire, au sens du passé, est souvent configurée par des dispositifs qui dépendent des vainqueurs de grands conflits. Par exemple, le sort de l’Allemagne et du Japon a dépendu des Alliés les ayant vaincus après 1945. La composition du conseil de sécurité de l’ONU provient de ce gigantesque conflit et de son issue. Le jugement politique et punitif fut dicté par le Tribunal de Nuremberg (1946) qui reste une «justice» de vainqueurs.

Le bombardement de Dresde par l’aviation britannique et américaine en février 1945 ne correspondait à aucune nécessité proprement militaire, il fit des dizaines de milliers de victimes civiles ; ce fut un crime de guerre. Le largage des deux atomiques sur le Japon en août 1945 fut un crime de guerre. Ils n’ont jamais été jugés en tant que tels parce que leurs responsables étaient les triomphateurs de la confrontation mondiale.

Mais l’écriture de l’histoire n’est pas prisonnière de ces agencements. Sauf dans les régimes totalitaires qui élaborèrent des récits édifiants de leurs origines et de leur politique par des scribes aux ordres. Récits apologétiques qui abusèrent des millions de gens. Encore que des contre-discours furent rapidement produits, souvent à partir de l’étranger.

Staline

Pour l’URSS, on peut citer Boris Souvarine, communiste français et secrétaire de l’Internationale communiste, qui critiqua dès les années 1925 le système stalinien et ses turpitudes ; André Gide avec son Retour d’URSS en 1936 ; ou Anton Ciliga qui, après avoir été déporté pour son opposition à Staline mais finalement libéré, put écrire en 1938, Au pays du mensonge déconcertant.

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Après-guerre, Victor Kravtchenko, un ancien communiste soviétique, témoin de la famine organisée en Ukraine par Staline en 1932-1933, devenu commissaire politique dans l’Armée Rouge, puis envoyé à Washington en 1944, demande l’asile politique aux États-Unis et écrit en 1946, J’ai choisi la liberté, livre dans lequel il dénonce le système concentrationnaire soviétique. En 1947, un célèbre procès l’opposa aux communistes français et à l’un de leurs journaux, Les Lettres françaises, qu’il finit par remporter.

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Pour la Chine, en 1971, le sinologue Simon Leys a démystifié totalement la «Révolution culturelle» menée par Mao en montrant qu’il s’agissait d’un coup d’État aux conséquences catastrophiques, à l’heure où une large partie de l’élite occidentale était fascinée par le maoïsme.

Pour l’Allemagne nazie, il faut évoquer, avant la victoire d’Hitler, la Harangue aux Allemands de l’écrivain Thomas Mann dénonçant, en 1930, dans les succès électoraux du NSDAP, «les ténèbres de l’âme, le culte de la Terre maternelle, l’inhumanité radicale». En 1937, l’ancien nazi Hermann Rauschning, écrit La Révolution nihiliste. Sans compter les dénonciations des militants politiques ou autres qui étaient parvenus à fuir l’Allemagne de Hitler. Ou encore le célèbre ouvrage de Kathrine Kressmann Taylor, américaine d’origine allemande, Inconnu à cette adresse (1938).

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Même de l’enfer d’Auschwitz, sont sorties Des voix sous la cendre, qui sont des manuscrits, quasi miraculeusement préservés ; transcrivant, par leurs auteurs eux-mêmes, l’activité des Sonderkommandos d’Auschwitz-Birkenau (éd. Française, 2005).

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Ainsi, même dans les régimes totalitaires à opinion conditionnée par la propagande et l’enrégimentement, la voix des vaincus parvient à l’expression, à l’analyse, à la dénonciation.

Avant et après que la Révolution française ne soit la célébration d’un culte national par la IIIe République, cet événement n’a cessé de nourrir les interprétations les plus diverses et même opposées.

Qui a été vaincu ?

Successivement, la société d’Ancien Régime basée sur les privilèges, puis les monarchiens, puis le Roi, puis la Gironde et le fédéralisme, puis les dantonistes et les hébertistes, puis Robespierre et les sans-culottes, puis les Directoriens… sans oublier les Vendéens, etc. Tous ont trouvé leurs défenseurs.

Dès 1790, l’anglais Edmund Burke (Réflexions sur la Révolution de France) s’oppose à la Révolution et défend la tradition. En 1797-1799, l’abbé Barruel définissait la Révolution comme le fruit d’un complot ayant donné naissance à la «secte dévorante» des Jacobins. Ce conspirationnisme inspire toujours les adeptes actuels du complotisme d’un Nouvel Ordre mondial secret et tout puissant. Thiers et Mignet défendirent une vision bourgeoise de la Révolution, excluant les violences de la «populace», contre la réaction et la Restauration de Charles X.

Puis les républicains se divisent. En 1866, le très républicain Edgar Quinet fait de 1793 une contre-révolution dans la Révolution alors que le républicain socialiste Louis Blanc la perçoit comme un «immense malheur né de périls prodigieux» et non pas un «système», dans sa volumineuse Histoire de la Révolution française (1862).

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Robespierre a eu ses détracteurs (Michelet, Le Tyran, 1869) et ses défenseurs comme Delescluze (1809-1871) dont on disait qu’il «est entré complètement dans la peau de Robespierre». Plus tard, Mathiez et l’historiographie marxiste encensèrent Maximilien. Danton eut pour thuriféraire Auguste Comte et surtout Alphonse Aulard, titulaire de la première chaire d'histoire de la Révolution française à la Sorbonne de 1885 à 1922.

Les traditionalistes poursuivirent l’œuvre de Burke : Taine avec ses Origines de la France contemporaine (1875-1894), Augustin Cochin avec La crise de l’histoire révolutionnaire (1909), Pierre Gaxotte, collaborateur de l’Action française avec La Révolution française (1928).

Vint le temps de Jaurès avec son Histoire socialiste de la Révolution française, à partir de 1898, qui ancrait le socialisme dans la tradition française humaniste et révolutionnaire. Georges Lefebvre, en 1963, avec ses Études sur la Révolution française, voyait notamment une révolution paysanne opposée à la bourgeoisie capitaliste agraire. Albert Soboul (1914-1982) synthétisait une vision marxiste avec sa thèse sur Les sans-culottes parisiens en l’an II (1958).

Quand Furet et son école apparurent dans les années 1960 et 70, la Révolution devint, non plus celle des masses, mais celle d’une élite qui dérapa en 1793.

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Tous les vaincus de la période 1789-1814 furent entendus et reconnus. Pour deux raisons : a) la masse des archives, des documents et des publications permettait de déterrer toutes les paroles ; b) la Révolution française fut lue et relue selon les enjeux politiques et culturels et les contextes intellectuels qui se succédèrent depuis deux siècles.

"la vision des vaincus"

Entendre les vaincus exige parfois des démarches plus complexes. Par exemple pour les civilisations pré-colombiennes. En 1971, cependant, Nathan Wachtel publiait La vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la conquête espagnole, 1530-1570 (rééd. «Folio histoire», 1999).

Nathan Wachtel avait utilisé trois types de sources pour y parvenir : les chroniques rédigées par les indigènes, les chants indiens et le folklore ; sans négliger non plus les archives et chroniques espagnoles. Il parvint ainsi à dépasser une vision européo-centriste et le point de vue des vainqueurs.

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L’histoire coloniale est-elle une histoire de vainqueurs ?

C’est le reproche que lui adresse un certain nombre de voix provenant des ex-pays colonisés. Il a certes existé un discours de vainqueurs, de dominants.

Mais l’histoire est autre chose. Ceux qui la soupçonnent ignorent généralement comment elle est produite. Ils ignorent ce que sont les archives et les confondent avec la presse ou les livres édités à l’époque. Or, les archives sont un ensemble très hétérogène de documents. Elles peuvent même conserver des papiers et témoignages provenant des «vaincus» eux-mêmes sans que ces derniers en aient forcément gardé les traces…

Par ailleurs, l’ensemble des documents administratifs, policiers ou autres qui constituent les archives ne se réduit pas à des discours justifiant la domination. Ce sont des comptes rendus, des observations, des projets, des analyses, des recueils de témoignages, des photos… qui souvent révèlent le point de vue des «indigènes».

Les logiques d’une administration ou d’une surveillance policière ne s’apparentent pas à l’apologie du «vainqueur». Elles sont astreintes à la production d’un savoir surmontant l’idéologie et la méconnaissance de «l’autre».

 

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kouba du cimetière de Nogent-sur-Marne

Évoquons un cas particulier du souci du «vaincu» procédant des archives du «vainqueur». J’ai découvert en 2004, aux archives d’outre-mer d’Aix-en-Provence, un dossier relatif à la kouba du cimetière de Nogent-sur-Marne. Cet édifice avait été élevé à la suite d’une initiative du consul Émile Piat, chargé de la surveillance des militaires musulmans dans les formations sanitaires de la région parisienne durant la Première Guerre mondiale.

Il écrivait : «Ayant eu l’impression que l’érection d’un monument à la mémoire des tirailleurs morts des suites de leurs blessures aurait une répercussion heureuse parmi les populations indigènes de notre Afrique, j’ai trouvé à Nogent-sur-Marne, grâce à l’assistance de M. Brisson, maire de cette ville, un donateur généreux, M. Héricourt, entrepreneur de monuments funéraires qui veut bien faire construire un édifice à ses frais dans le cimetière de Nogent-sur-Marne.»

Obtenant le soutien financier de la section algéroise du Souvenir Français, par l'entremise de Mirante - son ami qui était capitaine en poste aux Affaires indigènes à Alger -, il reçoit une somme de 1 810 francs destinée aux frais de la décoration de la kouba. Le gros œuvre est financé et effectué par le marbrier funéraire, Héricourt.

Au-delà de son architecture typique, la dimension religieuse du monument est explicite ainsi qu'en témoignent les deux versets du Coran (III, 169 et 170) devant être inscrits au frontispice après avoir été choisis par le muphti Mokrani en poste au camp retranché de Paris. L'édifice est inauguré le 16 juillet 1919.

Cet édifice avait complètement disparu dans les années 1980 et son souvenir perdu.

Grâce à ce dossier d’archives et de nombreuses démarches, menées avec Daniel Lefeuvre, professeur à l’université Paris VIII, nous avons obtenu les soutiens politiques et les financements nécessaires à sa reconstruction. Chose faite aujourd’hui.

L’histoire du «vainqueur» colonial a permis la restitution patrimoniale d’une marque de mémoire des «vaincus».

Michel Renard
professeur d'histoire

 

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témoignage de "vaincus" en 1945

 

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Commentaires
C
En tout cas, l'histoire de la révolution a été tout simplement achetée par le conseil de Paris, en 1885, qui a exigé de pouvoir nommé le titulaire de la première chaire d'histoire de la révolution française contre l'octroi d'une subvention de 50 millions de francs pour la rénovation de la Sorbonne. Aulard, petit professeur de littérature, obtint le poste non pour ses compétences historiques mais pour sa soumission aux radicaux et socialistes franc-maçons du conseil de paris... la légende de la révolution française commence juste à se fissurer...
N
je ne suis pas du tout d'accord avec vous.<br /> <br /> <br /> <br /> vous expliquez juste qu'on peut trouver la version des vaincus sur certains événements historiques.<br /> <br /> oui bien sur, mais là n'est pas le problème !<br /> <br /> la vraie question est qu'en reste t-il ?<br /> <br /> <br /> <br /> car c'est bien la version des vainqueurs qui restera dans la tête des gens<br /> <br /> celle qui est enseignée dans les écoles, relayée par les médias, etc... <br /> <br /> <br /> <br /> C'est pourquoi nous devons restez éveillés, critiques, et ne pas accepter bêtement tout ce qu'on nous présente comme des certitudes ultimes....<br /> <br /> <br /> <br /> Cordialement,
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